dimanche 16 février 2014

Scoop : l'altruisme n'existe pas (pour les « neocons » américains) !

Emmanuel Lazinier

Russel Kirk recevant la
Presidential Citizens Medal
des mains de Ronald Reagan
C'est un tout petit faux-pas pour un homme, mais un grand faux-pas pour une partie influente de l'Humanité : les néo-conservateurs américains !

Rien qu'une petite note de bas de page au sein d'un gros livre de 545 pages. Mais quel aveu !
« Just how truly scientific, in any enduring sense, Comte's system was, may be suggested by his uncritical acceptance of Gall's phrenological theories--which, Comte declared, disproved the theological doctrine of human depravity by detecting an "organ of benevolence" in every brain. »
La note en question figure en page 264 de The Conservative Mind: From Burke to Eliot (BN Publishing, 2008), l’œuvre majeure du père spirituel des neocons, Russell Kirk (1918-1994). 

La page s'ouvre par quelques jugements qui illustrent la détestation de Kirk envers Comte -- tout en démontrant qu'il n'en a pas lu une ligne :
« Comte with its scientist-dictator priests »
« Comte's collectivistic Positivism, despising and dismissing the Past »
La première citation -- j'allais dire le premier contresens -- est presque excusable tant il est difficile pour un esprit, même supérieur, de s'affranchir d'une croyance universellement répandue. La seconde est plus dure à avaler : Comte collectiviste ! Comte méprisant le passé, adepte de la table rase ! On croit rêver. Mais tout cela n'est rien à côté de la note de bas de page.

Elle est d'autant plus étonnante, cette note, que pour qui n'aurait pas lu les jugements précédents, elle pourrait faire croire qu'on a affaire à un bon connaisseur de Comte. Il est très rare en effet de voir mentionner en des termes aussi exacts la découverte de l'altruisme par Auguste Comte. Pauvre Kirk, qui a perdu là une belle occasion de se taire !

Soyons indulgent : le livre date de 1953. A l'époque la modularité du cerveau, soupçonnée depuis longtemps, était tout juste en train de devenir une évidence, et les neurosciences/sciences cognitives allaient encore attendre quelques années avant de faire de l'altruisme l'un de leurs principaux chevaux de bataille.

Mais quelle gaffe ! Sans s'en rendre compte, Kirk a signé dans cette note la condamnation de son néoconservatisme ! Il y admet qu'il repose sur la croyance en une dépravation innée de l'être humain. Et il fait le pari -- perdu -- que la science ne démontrerait jamais le contraire !



Je doit la découverte de cette petite perle à Blandine Chelini-Pont qui présentait mercredi dernier à l'IESR (Institut Européen en Sciences des Religions) son ouvrage La droite catholique aux États-Unis (Presses Universitaires de Rennes, 2013). Un ouvrage pionnier, comme en témoigne la présentation de l'éditeur :
« Cette recherche explore la constellation des catholiques conservateurs aux États-Unis qui a pris, depuis les années 1950, une place croissante au sein de la vie politique américaine, au point d’exercer aujourd’hui un fort leadership sur sa droite. Le visage actuel du conservatisme américain s’explique mal sans cet apport intellectuel et militant se revendiquant comme catholique. Le phénomène, imprévisible et paradoxal, commence à peine à être mesuré et étudié et il oblige à réévaluer les racines traditionnellement données aux différentes familles du néo-conservatisme ou de la droite religieuse. En reprenant étape par étape les grands moments de la pensée et de la militance catho-conservatrice dans la droite américaine, ce texte fait découvrir un continent intellectuel et un réseau resté très vivace, aujourd’hui tenté par une expansion idéologique vers l’Europe. L’auteure inscrit l’histoire de la pensée politique catholique dans l’histoire du conservatisme américain qu’elle analyse, en la mettant en phase avec les évolutions de la société américaine, de manière extrêmement précise et circonstanciée. Il s’agit d’une autre vision de la droite aux États-Unis, présentée de manière novatrice, sur le fondement d’informations proprement inédites. »
Voir aussi Inside the conservative brain: What explains their wiring?, par Avi Tuschman

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire